Le comportement alimentaire
Le comportement alimentaire désigne l'ensemble des conduites d'un individu vis-à-vis de la consommation d'aliments. Sa principale fonction physiologique est d'assurer l'apport des substrats énergétiques et des composés biochimiques nécessaires à l'ensemble des cellules de l'organisme. Il englobe des notions d'ordre nutritionnels, métaboliques, neuroendocriniens, comportementaux, culturels, sociaux...
Le comportement alimentaire se caractérise par des épisodes discontinus de prise alimentaire:
Il existe une variation circadienne de la prise alimentaire opposant une période de prise alimentaire qui a lieu pendant la période active (de vigilance), c'est-à-dire le jour pour les espèces diurnes comme l'homme, et une période de jeûne, qui correspond à la phase de repos (de sommeil). Ce caractère discontinu de la prise alimentaire, s'opposant à l'utilisation continue de substrats énergétiques par les cellules, implique une orientation différente des flux énergétiques (stockage ou libération de substrats énergétique à partir des réserves) pendant ces deux phases.
Pendant la période d'activité, la prise alimentaire est épisodique dans la plupart des espèces. Chez l'animal, l'intervalle entre deux prises alimentaires est un des facteurs régulant le niveau énergétique. Chez l'homme, la répartition des épisodes de prise alimentaire est également influencée par les normes sociales et culturelles qui codifient le nombre, la répartition dans la journée et parfois la composition des prises alimentaires. Dans le cadre de prises alimentaires codifées par des règles sociales et culturelles, on parle de repas.
Le contrôle du comportement alimentaire entre dans le cadre du contrôle de l'homéostasie énergétique qui vise à assurer une situation d'équilibre énergétique.
L'équilibre énergétique correspond à la situation où l'apport énergétique résultant de la prise alimentaire est égal à la dépense d'énergie de l'organisme. Une situation d'équilibre se traduit par la stabilité du niveau des réserves énergétiques, et donc de la masse grasse et du poids qui en sont le reflet.
Le comportement alimentaire et la balance énergétique des mammifères sont contrôlés par un réseau complexe, distribué et redondant qui implique au niveau central l’hypothalamus, le tronc cérébral, certains centres corticaux et en périphérie l’estomac, les intestins, le foie, la thyroïde et le tissu adipeux.
Ce système de contrôle complexe est soumis à l'influence de signaux périphériques (signaux sensoriels issus du tube digestif, taux de métabolites circulants, niveau d'adiposité...) et centraux (psychologiques, sociaux et environnementaux) et met en jeu diverses populations neuronales et de multiples neurotransmetteurs, récepteurs et hormones… Ces populations neuronales interagissent entre elles de manière antagoniste ou synergique permettant l'adaptation aussi bien sur le court terme que sur le long terme.
Les relations fonctionnelles entre les centres régulateurs centraux et les voies effectrices endocrines et autonomes/végétatives qui contrôlent les diverses fonctions associées au contrôle énergétique, comme l’activité, le niveau de métabolisme, le comportement de recherche de nourriture, la motricité gastro-intestinale, les sécrétions hormonales… restent en grande partie incomprises. Il faut aussi garder en tête que certains résultats proviennent de travaux réalisés chez le rat et demandent vérification chez l'homme.
Les niveaux de régulation du comportement alimentaire
Le contrôle du comportement alimentaire peut être artificiellement divisé en 1. régulation des épisodes de prise alimentaire et 2. régulation des réserves et des disponibilités énergétiques de l'organisme. On peut donc appréhender un 1er niveau de régulation, celui de la prise alimentaire et un 2e niveau, celui du contrôle des réserves. Dans les faits, les mêmes substances interviennent de manière continue et c'est leurs taux circulants qui permettent le contrôle homéostatique. Le comportement alimentaire est également dépendant de la disponibilité alimentaire qui constitue un facteur de régulation environnemental.
Régulation de la prise alimentaire
Elle est liée à des informations nerveuses sensorielles et humorales élaborées avant et pendant la prise alimentaire puis pendant la digestion et le métabolisme des nutriments. Ces signaux permettent le contrôle des apports alimentaires par modulation de :
la quantité d'aliments ingérés au cours d'un épisode de prise alimentaire, c'est-à-dire par modulation du volume et de la durée de la prise alimentaire. Cette régulation correspond au processus progressif de rassasiement.
la durée de l'intervalle entre deux prises alimentaires. Cette régulation correspond à la période de satiété qui fait suite à la prise alimentaire et dont la durée est variable.
Ces signaux interviennent donc sur le contrôle des trois phases d'un épisode de prise alimentaire.
1. La phase pré-ingestive caractérisée par la sensation de faim.
La faim est responsable du déclenchement de la prise alimentaire. Elle correspond la sensation consciente d'une nécessité interne se traduisant par une augmentation de la motivation à rechercher des aliments et à initier une prise alimentaire. Les mécanismes initiant la sensation de faim sont complexes. Dans les hypothèses dite glucidique et lipidique, il était postulé que la faim survenait dans les minutes qui suivaient une baisse de la glycémie, de l'ordre de 10-12 % du niveau basal ou du taux de lipides circulants et que cette baisse était directement perçue par les neurones du noyau arqué de l'hypothalamus. Il s'avère que les fluctuations des taux de glycémie/lipide jouent un rôle certain dans les processus d'initiation de la prise alimentaire mais que l'influence des habitudes et des rythmes propres à chaque individu est également déterminante (Woods et al., 2000).
2. La phase prandiale correspondant à la période de prise alimentaire et au processus progressif de rassasiement.
Le rassasiement correspond au processus progressif mettant un terme à un épisode de prise alimentaire et conduit à terme à l'état de satiété.
3. La phase postprandiale caractérisée par l'état de satiété dont la durée est variable.
La satiété correspond à l'état d'inhibition de la sensation de faim, à la satisfaction des besoins et à la sensation de bien-être qui survient en période post-ingestive conduisant à inhiber le besoin de prise alimentaire pour une certaine durée.
Régulation des réserves énergétiques
Elle est principalement assurée par des signaux de nature hormonale, au premier plan desquels se place la leptine. Leur intensité est essentiellement liée au niveau d'adiposité, leur action est retardée par rapport à la prise alimentaire. Ils modulent l'impact des signaux à court terme sur les régions cérébrales qui contrôlent la prise alimentaire et exercent des effets directs sur les centres hypothalamiques contrôlant l'équilibre énergétique.
Signaux de régulation d'origine périphérique
Figure: Schwartz, Nature, 2000
Figure: Berthoud et Morrison, Annu. Rev. Psychol., 2008
Les signaux sensoriels
Pendant la phase ingestive, la prise alimentaire est modulée par des facteurs sensoriels : aspect, odeur, texture et goût des aliments qui déterminent leur caractère agréable (palatable) ou non (Chandrashekar et al., 2006; Berthoud and Morrison, 2008). La prise alimentaire est augmentée si les aliments sont palatables alors qu'elle s'arrête très vite si la sensation est désagréable.
Le contrôle sensoriel de la prise alimentaire est modulée par deux phénomènes:
L'adaptation anticipatoire: l'expérience antérieure permet d'associer la saveur d'un aliment aux réactions post-ingestives et ainsi d'associer par anticipation l'ensemble des caractéristiques sensorielles à la valeur énergétique et nutritionnelle d'un aliment. L'adaptation anticipatoire peut dans des situations plus rares conduire au phénomène d'aversion qui amène, par un phénomène de conditionnement, à refuser la consommation d'un aliment lorsque ses caractéristiques sensorielles sont associées à une expérience antérieure négative.
L'alliesthésie: c'est la diminution du caractère agréable d'un aliment avec la quantité ingérée.
Les signaux digestifs
De nombreux signaux présents tout au long du tube digestif informent le système nerveux sur la quantité et la composition des nutriments ingérés.
Une partie des signaux est intégrée au niveau local, via le système nerveux intrinsèque digestif ; ils permettent une régulation directe motrice et sensitive.
Une autre partie des signaux, plus spécifiquement impliquée dans le contrôle de la prise alimentaire, est intégrée par le système nerveux central (SNC). Ce sont, en particulier, des informations sensitives intéroceptives qui sont généralement initiées par des mécanorécepteurs ou chémorécepteurs de la muqueuse digestive et qui sont transmises par le système nerveux autonome (SNA) jusqu’au tronc cérébral. D’autres signaux, de nature peptidique, produits par différentes cellules neuroendocrines du système gastro-intestinal, modulent le rythme et la durée des repas. Ils parviennent au SNC par deux voies:
La voie humorale: les médiateurs traversent la barrière hématoméningée par le biais de transporteurs spécifiques ou agissent sur des zones du SNC présentant une barrière hématoméningée plus permissive (area postrema, noyau arqué, …).
La voie vagale: ses afférences primaires peuvent être stimulées par des médiateurs gastro-intestinaux. Elle se termine dans le noyau du tractus solitaire (NTS) au niveau du tronc cérébral. Une partie des informations intégrées au niveau du tronc cérébral est retransmise via le SNA au tube digestif et participe au contrôle de la motricité digestive. Une autre partie des informations parvient à l’hypothalamus, en particulier au noyau arqué.
1. Les informations sensitives
La distension gastrique est provoquée par l'arrivée des aliments dans l'estomac. Cette distension stimule les mécanorécepteurs de la paroi gastrique qui, par voie vagale, transmettent les informations au SNC. Leur effet d'inhibition sur la prise alimentaire reste transitoire.
La présence de nutriments dans l'intestin grêle est détectée par des chémorécepteurs situés tout le long de l'intestin grêle et spécifiques de chaque type de nutriment. Ils contribuent à prolonger la durée de la période de satiété postprandiale.
2. Les signaux métaboliques
Les nutriments présents dans la circulation sanguine proviennent de deux sources: la prise alimentaire et la production de glucose et de lipides par le foie. L'augmentation de leur taux est détectée par l'hypothalamus directement ou indirectement par l'intermédiaire de la production d'hormones qu'ils initient (ex: l'insuline et la leptine).
En particulier, le taux sanguin d'acides gras à longues chaînes est capable d'informer l'hypothalamus du statut énergétique de l'organisme et d'interagir avec les signaux hormonaux issus de la périphérie. Le LCFA-CoA (long-chain fattyl acyl-Coenzyme A), un métabolite intermédiaire issu de l'estérification des acides gras pourrait permettre, au niveau du noyau arqué hypothalamique, l'intégration des signaux du métabolisme des glucides et des lipides dans une appréciation globale du niveau énergétique de l’organisme (Lam et al., 2005).
3. Les hormones et peptides entérogastriques
Plusieurs peptides produits au niveau du tube digestif, du pancréas, du tissu adipeux ou du foie sont impliqués dans le contrôle périphérique de la prise alimentaire. L'arrivée des aliments dans le tube digestif entraîne la sécrétion d'un certain nombre d'hormones ou de peptides (insuline, cholécystokinine, PYY 3-36, bombésine, entérostatine, glucagon-like peptide-1, apoprotéine A-IV…) qui semblent contribuer à la réduction de la prise alimentaire (Maljaars et al., 2007). L'importance physiologique de la plupart de ces neuropeptides n'est pas encore complètement établie (Vazquez-Roque et al., 2006) voire remise en cause pour certains (Beglinger and Degen, 2006).
La cholécystokinine (CCK)
La CCK (CCK, CHU Pitié-Salpêtrière; CCK, Wikipedia) est une hormone peptidique gastro-intestinale sécrétée par certains entérocytes (cellules neuroendocrines) de la muqueuse du duodénum et relarguée dans la circulation sanguine en réponse à l'arrivée de lipides surtout insaturés et de protéines dans la lumière intestinale. Elle entraîne la libération d'enzymes digestives pancréatiques catalysant les lipides, les protéines et les glucides ingérés, l'augmentation de la production et de la libération de bile dans le duodénum et elle inhibe la mobilité gastrique. Elle a également une action satiétogène relayée au SNC par le nerf vague par l'intermédiaire de récepteurs de la cholécystokinine (CCKAR) spécifiquement situés sur les afférences vagales. Les signaux de fin de prise alimentaire sont transmis secondairement à l'hypothalamus et sont potentialisés par l'action de la leptine et de l'insuline (Cone, 2005).
L'insuline
L'insuline (Insuline, Pitié-Salpêtrière; Insuline Wikipedia) est une hormone peptidique à deux chaînes d'acides aminés sécrétée par le pancréas (cellules ß des îlots de Langerhans) au cours de la digestion, dès que le taux de glucose dans le sang (glycémie) dépasse 6.10-3 M dans la circulation porte. Elle agit comme une hormone hypoglycémiante en favorisant le retour de la glycémie à la valeur basale de 5.10-3 M. Elle inhibe la gluconéogenèse, la glycogénolyse et la lipolyse et active la glycogénogénèse et la lipogenèse. Sa concentration plasmatique est en rapport avec le niveau de tissu adipeux et, du fait de sa demi-vie courte et de l'ajustement rapide de son taux aux changements métaboliques, elle pourrait refléter l'interaction entre les processus métaboliques immédiats et le niveau d'adiposité (Niswender et al., 2004).
Du fait de ses effets directs périphériques, le rôle satiétogène de l'insuline au niveau hypothalamique a pu être démontré par manipulation de ses taux ou de ses récepteurs au niveau central, par exemple par injection intraventriculaire chez l'animal. Ainsi, la perte de l'action de l'insuline au niveau central se traduit par une hyperphagie et une augmentation de la masse grasse (Obici et al., 2002) alors que la perfusion centrale d'insuline provoque une diminution des prises alimentaires et une perte de poids (Brief and Davis, 1984).
Le peptide YY3-36 (PYY 3-36)
Cette hormone peptidique est sécrétée par les cellules endocrines de l’intestin grêle et du colon en période postprandiale, proportionnellement au contenu énergétique du repas: la concentration plasmatique en PYY 3-36 est directement en rapport avec la quantité de calories ingérées et reste élevée durant plusieurs heures après la fin du repas. Chez l'animal, le PYY 3-36 possède un effet satiétogène et inhibiteur de la prise alimentaire (effet anorexigène) au niveau du noyau arqué probablement moins par inhibition directe de la voie orexigène NPY/AgRP et facilitation de la voie α-MSH (par inhibition de la transmission GABAergique frénatrice qui s'exerce sur les neurones à POMC) (Batterham et al., 2003; Doggrell, 2004) que par un mécanisme indépendant du système à mélanocortine (Halatchev and Cone, 2005). Chez l'homme, en revanche le rôle satiétogène physiologique du PYY 3-36 est discuté (Beglinger and Degen, 2006).
Le proglucagon-derived glucagon-like peptide-1 (GLP-1)
Le GLP-1 est une hormone peptidique gastro-intestinale issue du précurseur du glucagon, sécrété par l’intestin pendant la période postprandiale en réponse essentiellement à un repas lipidique. Ses effets incluent une action insulinotrope sur les cellules pancréatiques et une inhibition de la vidange gastrique. Il a été avancé que le GLP-1 possédait un effet physiologique de contrôle de l'appétit et de la prise énergétique probablement par le biais de la voie vagale (Flint et al., 1998; Gutzwiller et al, 1999) mais son rôle satiétogène physiologique est encore discuté (Beglinger and Degen, 2006).
La leptine
La leptine est une hormone peptidique produite principalement par les adipocytes, et sa concentration plasmatique est proportionnelle à l’importance de la masse graisseuse (Munzberg and Myers, 2005). Ceci explique que le niveau de leptine est anormalement élevé en cas d'obésité et diminue avec l'activité physique. La leptine est un marqueur de variation des stocks énergétiques, et son rôle apparaît notamment très important dans les situations de carence énergétique.
Le gène codant pour la leptine est le gène ob découvert en 1994; la sélection de mutations de ce gène a permis la création d’un modèle de souris obèse et une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes de contrôle de la balance énergétique.
Elle agit par l’intermédiaire de récepteurs spécifiques situés au niveau du noyau arqué hypothalamique (récepteurs LRb) en activant le système anorexigène des neurones à mélanocortine (POMC/α-MSH) et en inhibant le système orexigène (neurones NPY/AGRP) (Tartaglia et al., 1995; Tartaglia, 2006; Mercer et al., 1996; Seeley et al.,1997). Elle a une action à court terme en diminuant la prise alimentaire, ses taux augmentant de manière retardée après un repas, et un effet à long terme en inhibant la prise de nourriture et en augmentant la dépense énergétique. La leptine a donc des effets antagonistes de ceux de la ghréline au niveau hypothalamique. La leptine régule la sensibilité de l'organisme à l'insuline et l'équilibre glucidique de deux manières: d'une part à travers son action sur le niveau d'adiposité (une augmentation de l'adiposité conduit a une insulinorésistance) et d'autre part de manière indépendante de l'adiposité à travers la régulation de la production hépatique de glucose (Munzberg and Myers, 2005).
Les modèles murins d'obésité et les patients obèses présentent en permanence un taux anormalement élevé de leptine du fait de l’augmentation du tissu adipeux mais ils restent également résistants aux effets anorexigènes de la leptine (leptino-résistance) (Munzberg et Myers, 2005). Il est possible que l'excès de leptine secondaire à l'augmentation de tissu adipeux lors de l'obésité induise une sous-expression de ses récepteurs hypothalamiques et s'oppose de ce fait à l'action amaigrissante et satiétogène de la leptine (Munzberg et Myers, 2005). Ainsi, les essais d'une "leptino-thérapie" de l'obésité se sont avérés décevants du fait de la faible ampleur de la diminution de l'appétit et de la perte de poids (Mantzoros et Flier, 2000).
La ghréline
La ghréline est un peptide sécrété par l'estomac et le duodénum. C'est la seule hormone peptidique gastro-intestinale stimulant l’appétit découverte à ce jour (Druce et al., 2005). La concentration plasmatique de ghréline augmente juste avant les repas puis diminue rapidement ensuite; la ghréline est ainsi un facteur responsable de la sensation de faim et de l’initiation de la prise de nourriture (Cummings et al., 2001). Son taux est diminué chez les sujets obèses et augmente après amaigrissement. L’administration parentérale d’une dose unique de ghréline augmente la prise alimentaire chez l’homme et le rat et son administration chronique chez le rat induit une hyperphagie persistante et l’accumulation de graisse.
Elle a au niveau du noyau arqué hypothalamique une action antagoniste de la leptine: elle active le système orexigène (neurones NPY/AGRP) et inhibe indirectement le système anorexigène (neurones POMC).
Centres de régulation de la prise alimentaire
L'hypothalamus
L’hypothalamus est à la fois un centre régulateur et effecteur capital dans le comportement alimentaire: il agit sur la prise alimentaire, mais également sur le métabolisme énergétique et le contrôle pondéral de l'organisme. Parmi les différents noyaux hypothalamiques, le noyau arqué et l’aire hypothalamique latérale (AHL) occupent une place privilégiée dans les mécanismes de régulation du comportement alimentaire (Williams et al., 2001; King, 2006 ; Saper, 2002; Swanson, 2000).
Les neurones hypothalamiques intervenant dans le contrôle du comportement alimentaire reçoivent de nombreux signaux spécifiques de l'état nutritionnel de l'organisme, issus de la périphérie et du système nerveux central. Ces signaux sont de nature hormonale (hormones et peptides gastro-intestinaux: leptine, insuline, ghréline...), métabolique (variation de la glycémie, du taux d'acides gras libres circulants ...) ou nerveuse (motivation, plaisir, informations sensorielles...).
L'interaction (action antagoniste ou synergique) de ces signaux au niveau des différentes aires hypothalamiques résulte d'une part en un message de faim ou de satiété transmis au cortex cérébral et d'autre part en un message direct et inconscient dirigé vers les structures périphériques via le SNA et les sécrétions hormonales hypophysaires (Kalra et al., 1999).
Les aires hypothalamiques comportent différentes populations neuronales exprimant des neurotransmetteurs modulant la prise alimentaire et la dépense énergétique: effet stimulateur de la prise alimentaire (effet orexigène) et effet anabolisant d'une part, effet inhibiteur de la prise alimentaire (effet anorexigène) et effet catabolisant d'autre part (Horvath, 2005).
Le noyau arqué est situé en position médiane, à la partie basale de l’hypothalamus entre l'éminence médiane et le 3e ventricule. Il joue un rôle fondamental dans l'intégration et la transmission des messages périphériques aux autres centres hypothalamiques pour plusieurs raisons:
Il est pourvu d’une barrière hématoméningée perméable et est donc accessible aux messages circulants comme la leptine, l'insuline et la ghréline qui ne peuvent franchir la barrière hématoméningée.
Les neurones impliqués dans le contrôle du comportement alimentaire sont au contact immédiat des capillaires ce qui permet aux signaux périphériques de les atteindre directement (Horvath, 2005).
Il est sensible au niveau circulant de certains nutriments, en particulier, le glucose et les acides gras à longue chaîne (Lam et al., 2005).
Il contient deux populations distinctes de neurones qui exercent des effets opposés sur la prise alimentaire (Cone, 2005):
Le système orexigène
est constitué de neurones localisés dans la partie ventromédiane du noyau qui coexpriment deux neuropeptides stimulateurs de la prise alimentaire: le neuropeptide Y (NPY) et l'Agouti-gene Related Peptide (AgRP) (Hahn et al., 1998; AgRP, Wikipedia).
Le système anorexigène
est constitué de neurones, localisés dans la partie latérale du noyau, qui expriment la pro-opiomélanocortine (POMC) précurseur de deux agents anorexigènes: l'α-MSH (alpha-melanocyte-stimulating hormone) et le CART (Cocain and Amphetamine Related Transcript) coexprimés par la plupart de ces neurones.
Les sites de projection de ces deux populations de neurones se chevauchent très largement à la fois au sein et à l’extérieur de l’hypothalamus, les principales cibles étant le noyau hypothalamique paraventriculaire (NPV) et le noyau du tractus solitaire (Broberger et al., 1998; Mezey et al., 1985). L’interaction entre les projections NPY/AgRP et α-MSH sur les neurones du NPV exprimant des récepteurs MC4R est considérée comme capitale pour le contrôle du métabolisme.
Depuis le NPV les signaux sont transmis directement ou non aux noyaux du tronc cérébral (noyau du tractus solitaire en premier lieu), à la moelle spinale, au noyau thalamique dorsomédian, au cortex et au système porte reliant l’hypothalamus à l’hypophyse antérieur (Horvath, 2005).
L’AHL reçoit principalement des informations issues du système limbique (modulation d’origine centrale) et émet des projections sur le noyau arqué (système des neurones à hypocretine/orexine, melanin-concentrating hormone...) et régule l'activité des neurones du système à mélanocortine. Les voies de sortie de l’AHL se destinent également aux structures du tronc cérébral directement impliquées dans le contrôle de la phase motrice de l’ingestion et dans le contrôle des fonctions autonomes/végétatives.
Autres centres de régulation
L'intégration de l'homéostasie énergétique fait intervenir de nombreuses structures cérébrales interconnectées avec l'hypothalamus:
le noyau du tractus solitaire sur qui convergent les informations d'origine vagale et les signaux hypothalamiques issus du NPV
le noyau parabrachial
le thalamus dorsomédian, relais des informations limbiques vers le cortex, intervient dans la perception hédonique et la composante motivationnelle
le lobe temporal interne et l'amygdale (Petrovitch et al., 2002)
la stria terminalis et le septum
le système limbique impliqué dans les processus motivationnels, d'apprentissage et de conditionnement, tout particulièrement le noyau accumbens (Kelley et al., 2005).
Interaction des signaux au niveau hypothalamique
Le système à mélanocortine central inclut les neurones qui expriment le NPY/AgRP ou la POMC situés au sein du noyau arqué hypothalamique ou du tronc cérébral (noyau du tractus solitaire) et les cibles de ces neurones exprimant les récepteurs MC4R et MC3R (Cone, 2005).
Figure: Schematic of the central melanocortin system, Cone, Nature Neuroscience 2005
Ce système est actuellement considéré comme le principal système de régulation de la prise alimentaire et de la dépense énergétique (Cone, 2005; Horvath, 2005) et le dérèglement de ce système est impliqué dans l’obésité (Huszar et al., 1997; Fan et al., 1997).
La majorité des neurones à mélanocortine se situe au niveau du noyau arqué de l'hypothalamus. Le tronc cérébral contient également des neurones à mélanocortine dont la fonction est moins bien connue. Ils semblent agir de concert avec l’hypothalamus dans le contrôle de la prise alimentaire, en réagissant à des signaux périphériques distincts de ceux qui agissent au niveau de l’hypothalamus (Cone, 2005).
Figure: Schematic of three hypothalamic peptidergic systems, Cone, Nature Neuroscience 2005
L’activation de ce système se traduit par un fort effet anorexigène alors que son inhibition entraîne une augmentation de la prise alimentaire et du poids. Ses effets sont contrebalancés par ceux du système orexigène issus des neurones NPY/AgRP également situés dans le noyau arqué. D’une façon générale, lorsqu’un système est activé, l'autre est mis en repos: par exemple, à la suite d’un jeûne prolongé, les neurones à NPY/AgRP sont hyperactifs, tandis que les neurones à α-MSH sont inhibés, ce qui aboutit à une stimulation de l’appétit et à une récupération des réserves énergétiques. Ghréline et leptine sont toutes deux responsables d'une réorganisation des jonctions synaptiques rapide de l'ordre de quelques heures, au niveau de l'hypothalamus (Horvath, 2005).
L'α-MSH exerce son effet anorexigène par liaison avec le récepteur MC4R. Les mutations du gène codant pour le récepteur MC4R est la principale cause d’obésité héréditaire (Farooqi and O'Rahilly, 2006). La voie anorexigène (POMC/α-MSH) stimule la production des neuropeptides anorexigènes du noyau paraventriculaire, tels que la corticolibérine (CRH, Corticotrophin Releasing Hormone), la thyrolibérine (TRH, Thyrotrophin Releasing Hormone), l’arginine-vasopressine (AVP) et l’ocytocine (OCY), qui sont tous inhibiteurs de la motricité gastro-intestinale. La CRH et la TRH favorisent la sécrétion d’ACTH et TSH par l’adénophypophyse ; l’ACTH stimule à son tour la sécrétion de minéralocorticoïdes et de glucocorticoïdes par la corticosurrénale entraînant une stimulation du métabolisme. Parallèlement, elle inhibe la production des facteurs orexigènes de l’hypothalamus latéral tels que la mélanin-concentrating hormone (MCH) et les hypocrétines/oréxines (ORXs). NB. Les termes hypocrétine et oréxine désignent la même paire de molécules (orexine A et B) (Matsuki and Sakurai, 2008).
La voie orexigène à NPY/AgRP exerce des actions opposées. Elle stimule l'appétit, diminue le métabolisme et la dépense énergétique. Le NPY exerce son effet orexigène par l'intermédiaire des récepteurs NPY Y1 et Y5. L'AgRP exerce son effet orexigène par liaison compétitive avec le récepteur MC4R de l’α-MSH (c'est donc un inhibiteur de la voie POMC).
Le système des neurones à POMC et le système des neurones NPY/AgRP hypothalamique répondent à de nombreux signaux périphériques, comme les nutriments (glucose, acides gras libres) et les hormones (leptine, ghréline, insuline, peptide YY...) (Cowley, 2003). Ils est tout particulièrement soumis à l'influence directe de la leptine et de la ghréline (Elias et al., 1999). Les récepteurs de la leptine sont en effet principalement situés sur les neurones du noyau arqué hypothalamique (Schwartz et al., 1996). La ghréline agit en sens opposé de la leptine par fixation sur son récepteur présent sur les neurones à NPY/AgRP. La ghréline a également une action inhibitrice sur le système POMC mais probablement par voie indirecte en activant les afférences GABAergiques inhibitrices qui se projettent sur les neurones à POMC.
Une élévation du taux de leptine conduit à l'activation de neurones POMC qui libèrent l'α-MSH au niveau de leurs terminaisons axonales. L'α-MSH se lie aux récepteurs à mélanocortine MC4R et active la voie anorexigène (Elias et al., 1999; Cowley, 2003). Simultanément la leptine diminue l’activité des neurones NPY/AgRP et diminue ainsi la compétition de liaison de l'AgRP sur les récepteurs MC4R. Le concours de ces deux actions résulte en une inhibition du comportement alimentaire et une stimulation du métabolisme par le CRH et le TRH.
A l'inverse, l'activation de la voie orexigène NPY/AgRP se traduit par une inhibition de la voie anorexigène par compétition de l'AgRP au site de liaison avec les récepteurs MC4R mais également par une inhibition directe des neurones POMC par le NPY et le neurotransmetteur GABA inhibiteur (Cowley, 2003). Cette double action conduit ici à stimuler le comportement alimentaire et à diminuer le métabolisme par diminution de la sécrétion de CRH et de TRH.
Il existe donc une interaction unidirectionnelle entre le NPY/AgRP et les neurones POMC, seuls les premiers étant capables d'inhiber les seconds (Horvath et al., 1992). Cette particularité a une importance fonctionnelle: toute circonstance activant les neurones NPY/AgRP se traduit par une inhibition tonique de la voie anorexigène des neurones POMC. L'absence constitutionnelle de rétrocontrôle des neurones POMC vers les neurones NPY/AgRP tend à promouvoir la prise alimentaire d'avantage que la satiété conduisant à l’extrême à la survenue de l’obésité.
Une autre particularité du système de contrôle de l'équilibre énergétique tient à la redondance des systèmes de contrôle, au sein même de l'hypothalamus et en dehors, en particulier dans le tronc cérébral (Grill and Kaplan, 2002). Parmi ces autres systèmes se trouve le système des neurones à hypocretine/orexine (Theodosis and Poulain, 1984) et le système à melanin-concentrating hormone (MCH) (Qu et al.,1996) issus de deux populations neuronales distinctes des deux précédentes. Les neurones de ces deux systèmes, également orexigènes se situent dans le noyau latéral de l'hypothalamus et envoient une forte proportion d'influx excitateurs sur les neurones NPY/AgRP (Horvath, 2005). Outre le fait de favoriser à nouveau la voie orexigène, l'existence de ces systèmes semblent avoir deux implications importantes:
L’intrication des troubles du sommeil (insomnie) et de l’obésité (favorisée par le déficit en sommeil) trouve probablement une explication dans l’existence du système des neurones a hypocretine/orexine (Matsuki and Sakurai, 2008). Ce système possède une large distribution de cibles au sein du SNC, incluant l'aire tegmentale ventrale. Outre leur rôle dans le comportement alimentaire, ces molécules sont particulièrement importantes dans le maintien de l'éveil, et leur absence induit le syndrome de cataplexie/narcolepsie (La narcolepsie, S.H. Onen, CHU Clermont Ferrand).
Aucune stratégie médicamenteuse n’a permis d’obtenir des effets satisfaisants sur le déséquilibre des mécanismes de contrôle de la balance énergétique que ce soit vers l'excès (obésité) ou la carence (anorexie). La redondance des systèmes de régulation intra et extra hypothalamique peut expliquer cela: si une des voies est bloquée de manière médicamenteuse, une autre modalité de signalisation de transmission du signal peut être utilisée pour détourner "l'obstacle".
Modulations d'origine centrale
Si les neurones hypothalamiques sont capables de moduler la prise alimentaire et la balance énergétique de l'organisme, le fait de consommer de la nourriture ou d'arrêter de manger ne se résume pas au seul système de contrôle de l’homéostasie régulé par les signaux métaboliques et de satiété.
Manger est certes un besoin vital mais c'est aussi un des plaisirs de la vie: nous mangeons parce que nous avons faim (celle-ci traduit une nécessité, un besoin énergétique) mais également parce que nous voulons et aimons manger, que nous en ayons conscience ou non. Cette sensation de plaisir d’autant plus marquée que les aliments sont palatables, riches en sucres et en graisses, détermine le caractère hédonique du comportement alimentaire (Pecina et al., 2006; Esch and Stephano, 2005; Cabanac, 2003).
« Vouloir » et « Aimer » manger sont donc deux déterminants de la prise d'aliments. Il apparait ainsi que le système homéostatique est sous la dépendance d’un système de contrôle plus large, appelé par certains auteurs système de contrôle "non-homéostatique" incluant le « système de la récompense » et « le système du plaisir ». Ce système réagit entre autres à la vue, l’odeur, le goût des aliments ou a des signaux évocateurs de nourriture; il attribue aux aliments leur caractère agréable ou non et se traduit en terme de comportement motivé.
Il existe plusieurs niveaux d'interactions du système homéostatique et du système non-homéostatique:
Figure: Berthoud et Morrison, Ann. Rev. Psychol., 2008
Figure: Reward and homeostatic circuits, Palmiter, Trends in Neurosciences, 2007
L'AHL, effecteur majeur du comportement alimentaire, reçoit directement ou indirectement des signaux de nombreuses régions du SNC impliquées dans les processus de mémoire, de motivation, de récompense et d'apprentissage (cortex orbitofrontal, noyau accumbens, amygdale, aire tegmentale ventrale...) en sus des afférences viscéro-sensorielles et gustatives issues du tronc cérébral et de différentes aires sensorielles (cortex insulaire et olfactif).
La création de liens mnésiques entre les aliments ou leur simple évocation et donc la création d'une "expérience alimentaire" est assurée par des fonctions complémentaires du noyau basomedial de l'amygdale et du cortex orbitofrontal (Berthoud and Morrison, 2008).
Le cortex orbitofrontal et le cortex cingulaire constituant les structures corticales du système limbique semblent avoir une importance toute particulière dans le contrôle cortical du comportement alimentaire (Rolls, 2000; Rolls, 2004). On considère que le cortex orbitofrontal représente une zone de convergence et d'intégration des représentations visuelles, olfactives, gustatives et somatosensorielles et qu'il participe à l'attribution de la valeur de récompense et affective à un stimulus alimentaire.
Dans le cadre des boucles cortico-sous cortico-corticales, ces aires corticales se projettent sur les noyaux gris centraux, initialement sur le striatum ventral, tout particulièrement le noyau accumbens qui se projette a son tour sur le pallidum ventral. Du pallidum ventral, les informations sont relayées d’une part vers le cortex via le thalamus dorsomédian et d’autre part vers l’hypothalamus latéral. Ce circuit constitue le circuit limbique des noyaux gris centraux (Alexander et al., 1986).
Le rôle du cortex orbitofrontal dans l'interprétation de la valeur nutritionnelle (et/ou agréable?) des aliments a été démontré en IRMf (Killgore et al., 2003). La présentation visuelle d'aliments chez des sujets sains active des régions différentes du cerveau selon la valeur calorique des aliments qu'ils représentent: les stimuli à haute valeur calorique activent préférentiellement des régions du système limbique (cortex orbitofrontal, thalamus dorsal, hypothalamus) alors que les stimuli à basse valeur calorique activent préférentiellement des régions somatosensorielles, en particulier celles recevant les informations gustatives (le gyrus temporal supérieur, le gyrus inférieur postcentral, le cortex perirhinal). De plus, des anomalies de réponse à des stimuli alimentaires ont également été mises en évidence au niveau du cortex préfrontal et cingulaire de sujets obèses démontrant leur implication dans les troubles des conduites alimentaires (Gautier et al., 2000; Gautier et al., 2001).
Les structures limbiques sont le support des processus émotionnels et motivationnels décrits en termes de système de la récompense et de système du plaisir dépendant respectivement d’une modulation dopaminergique et opioïde (C Hammond, INSERM U29, Le faisceau du plaisir et de la récompense). Le fait de « vouloir » ou « aimer » manger (à plus forte raison des aliments très palatables) met en jeu ces systèmes et influence la motivation et la prise de décision liée à la consommation d'aliments (Kelley et al., 2005). Le circuit limbique est également impliqué dans les comportements d’addiction (dont l'addiction aux drogues) et il existe un certain parallélisme entre les comportements d’addiction aux drogues et les comportements alimentaires pathologiques (Volkow and Wise, 2005; Wise, 2004; Volkow and Wise, 2005; Psychopharmacologie de la toxicomanie, Université de Montpellier). L'exposition chronique à des aliments hautement palatables induirait selon certains une véritable dépendance alimentaire (Erlanson-Albertsson, 2005).
Du fait de connexions complexes et multiples et de son rôle intégrateur, on considère que le circuit cortex-striatum-hypothalamus permet de hiérarchiser et d’adapter les différentes réponses du comportement alimentaire à une variété de signaux internes et externes, gustatifs, viscéro-sensoriels, métaboliques et énergétiques. La sous-région ventromédiale du noyau accumbens (striatum ventral), le shell, joue tout particulièrement un rôle capital dans le contrôle du comportement alimentaire (pour revue Kelley et al., 2005).
Figure: Circuits cortico-sous-corticaux
Ce réseau complexe de structures interconnectées est soumis à l'influence de plusieurs systèmes de neuromodulateurs:
Les principaux systèmes de neuromodulation sont :
Le système dopaminergique
le système opioïde endogène
le système GABAergique et glutamatergique
le système endocannabinoide
Le principal système de régulation de la motivation (associé au terme "vouloir") est représenté par le système dopaminergique mésolimbique, le système du plaisir (associé au terme "aimer") est représenté par le système opioïde endogène. L'activation du système endocannabinoide ou système cannabinoïde endogène pourrait contribuer à la survenue de l’obésité (Di Marzo and Matias, 2005; Maldonado et al., 2006). La sérotonine semble avoir un rôle satiétogène et la perturbation de ce système pourrait contribuer à l'association des troubles de l'humeur aux troubles du comportement alimentaire (Erlanson-Albertsson, 2005).
L'organisation et le contrôle des interactions entre ces différents systèmes commencent seulement à être caractérisés ; nombre de données en rapport avec ces systèmes proviennent d'observations expérimentales chez l'animal et certaines d'entre elles doivent être validées chez l'homme. En condition physiologique, ces différents systèmes agiraient de manière coordonnée et la conjugaison de leurs actions permettrait le développement puis la mémorisation de stratégies de recherche et d'obtention de récompense (éventuellement alimentaire) de plus en plus performantes.
Dans le domaine du comportement alimentaire, des systèmes reflètent la faculté des organismes à réagir avec la disponibilité en aliments présents dans l'environnement, à construire des associations mnésiques et affectives avec certains aliments… mais reflètent également le rôle joué par le statut motivationnel et émotionnel de l'individu, les habitudes alimentaires ou les facteurs socioculturels. Les interactions complexes entre la cognition, le comportement et l’environnement sont capitales dans le développement de notre relation vis-à-vis des aliments et dans le développement de comportements alimentaires pathologiques.
Certains troubles des conduites alimentaires conduisant à l'obésité pourraient ainsi résulter d'un excès d'activation du système de la récompense et/ou du développement de résistances aux signaux de satiété (par perturbation du système du plaisir) lors de l'ingestion chronique et exagérée d'aliments palatables ou excessivement riches énergétiquement (Erlanson-Albertsson, 2005). La compréhension des mécanismes physiopathologiques liée à l’obésité, à la prise d’aliments « addicitifs » (par leur composition ou le comportement de consommation qui leur est associé) comme ceux liés à la prise de drogues nécessite donc la prise en compte d'un certain nombre de facteurs qui influencent les systèmes décrits ci-dessus. Il s’agit de facteurs génétiques (il existe très vraisemblablement une vulnérabilité polygénétique à l'obésité et l'addiction), de facteurs environnementaux (la disponibilité des substances et de la nourriture palatable à haute teneur énergétique, l’exposition au stress ou à certaines thérapeutiques…), de facteurs développementaux (les périodes charnières étant le développement fœtal et l’adolescence).
Facteurs modulant le comportement alimentaire
1. Les facteurs socioculturels et familiaux
Ils interviennent notamment en réglant les temps et les normes de la prise alimentaire. C'est ainsi que le temps qui sépare deux prises alimentaires n'est pas, chez l'homme, réglé uniquement par la durée de la satiété mais aussi par des règles sociales (les horaires de repas) ou les impératifs de l'emploi du temps qui peuvent amener à avancer ou retarder une prise alimentaire. L'apprentissage alimentaire de la petite enfance et les habitudes alimentaires familiales conditionnent aussi le comportement alimentaire futur de façon notable. De même, la perception culturelle de l'idéal corporel (minceur ou au contraire rondeur voire obésité selon les cultures) peut influencer le comportement alimentaire (Neumark-Sztainer et al., 2002; Kayano et al., 2008).
2. Les facteurs psychoaffectifs
Des facteurs psychoaffectifs (humeur, émotions, anxiété, stress psychologique…) influencent clairement le comportement alimentaire. Les signaux sensoriels (aspect, odeur, goût des aliments) liés à la prise alimentaire sont traités par ce même système limbique qui régule l'humeur, les émotions de l'individu. Ces structures permettent donc une intégration des informations sensorielles et de l'état affectif du sujet. Les stimuli sensoriels sont interprétés et confrontés à l'expérience antérieure, l'humeur, l'état émotionnel… et peuvent à leur tour prendre une dimension émotionnelle, susciter des sensations ou des sentiments élaborés (plaisir anticipé, envie, culpabilité, frustration, dégoût…) qui influencent la prise alimentaire.
3. Le contrôle cognitif de la prise alimentaire
Même s'il s'agit d'un comportement avant tout motivé par des nécessités internes d'ordre énergétique, la prise alimentaire reste un comportement volontaire, qui obéit à la décision consciente de l'individu. Ainsi, si des nécessités internes conduisent à une sensation de faim et à un niveau élevé de motivation vis-à-vis de la prise alimentaire, l'individu conserve le pouvoir volontaire de ne pas consommer des aliments. Ce contrôle cognitif peut exercer une influence importante sur le comportement alimentaire. Par exemple, dans certaines situations particulières, des comportements urgents ou prioritaires (faire face à un danger, répondre à une obligation sociale ou professionnelle…) peuvent être privilégiés et conduire à supprimer ou retarder une prise alimentaire.
La volonté de perdre du poids peut également conduire à une restriction volontaire de la prise alimentaire. Dans cette dernière situation appelée restriction cognitive, ce ne sont plus les sensations de faim et de satiété qui règlent la prise alimentaire mais la décision consciente de s'autoriser à manger ou de se l'interdire. Le pouvoir de décision peut cependant se trouver dépassé par des facteurs externes et/ou psychoaffectifs (vue d'aliments suscitant des émotions comme l'envie, le stress ou des situations anxiogènes...), qui prennent une importance accrue par rapport aux nécessités internes régissant la faim et la satiété. C'est ainsi que peuvent s'installer des troubles du comportement alimentaire responsables d'anomalies pondérales parfois importantes.
Ces troubles comportent entre autres le 'craving' (Définition et discussion sur le terme de 'craving', Journal 'Addictio', 1987), la compulsion alimentaire, le 'binge' (pour en savoir plus, lire l'article: Guy-Grand et al., 1997 - Caractérisation des « accès alimentaires impulsifs » chez des sujets obèses. Cah. Nutr. Diét 1997; 32: 307-312.)
4. L'abondance des aliments disponibles
Elle a un impact notable sur la quantité d'aliments ingérés par un individu. Ainsi, à l'échelle de populations dont le mode de vie a changé rapidement, il a été clairement démontré que le passage d'un mode de vie traditionnel (alimentation obtenue par la chasse, la cueillette, une agriculture et un élevage traditionnels) à un mode de vie urbain occidental (alimentation facilement disponible, abondante et peu onéreuse) se traduit par une augmentation de la quantité d'énergie ingérée et par une augmentation de la masse grasse.
5. La composition de l'alimentation
Les principaux nutriments énergétiques sont les glucides et les lipides dont les proportions respectives varient inversement. Lorsque le pourcentage de lipides augmente dans l'alimentation, l'apport énergétique spontané tend à être plus élevé que lorsque l'alimentation est riche en glucides pour deux raisons :
Ils ont une densité énergétique plus élevée (9 calories/g) et, à volume ingéré constant, ils apportent davantage d'énergie
Ils sont plus palatables, à la fois par la texture agréable qu'ils donnent aux aliments (crémeuse ou croquante), et par leur rôle de renforçateur d'arômes.
6. Les agressions physiques
Les stress physiques extéroceptifs (d'origine externe: stimulus douloureux ou stimulus sensoriel désagréable comme un environnement très bruyant par exemple) peuvent influencer la prise alimentaire. Les mécanismes mis en jeu sont mal caractérisés.
Les stress physiques intéroceptifs (qui correspondent à des agressions ayant des conséquences sur le milieu intérieur) peuvent également moduler la prise alimentaire. Les infections bactériennes ou virales ou d'autres maladies comme les cancers ou les syndromes inflammatoires influencent la prise alimentaire (diminution en général) par l'intermédiaire de cytokines et d'autres médiateurs de l'inflammation qui agissent au niveau du système central.
7. Les thérapeutiques
Médicaments faisant prendre du poids: certains psychotropes comme le lithium, les antidépresseurs (tricycliques surtout), les neuroleptiques… (Zimmermann et al., 2003) et antiépileptiques (valproate, carbamazépine...), corticoïdes, androgènes, anabolisants...
Médicaments faisant perdre du poids: amphétamines, topiramate (antiépileptique), molindone (antipsychotique), pimozide (antipsychotique)...
Articles de revues de littérature
Schwartz et al., Central nervous system control of food intake. Nature. 2000 Apr 6;404(6778):661-71
Woods et al., Food intake and the regulation of body weight. Annu Rev Psychol. 2000;51:255-77
Berridge et Robinson, Parsing reward. Trends Neurosci. 2003 Sep;26(9):507-13
Zheng et Berthoud, Eating for pleasure or calories. Curr Opin Pharmacol. 2007 Dec;7(6):607-12
Berthoud et Morrison, The brain, appetite, and obesity. Annu Rev Psychol. 2008;59:55-92
Sites internet
Sémiologie du comportement alimentaire, site de la "Psychiatrie Angevine", Pr J.B. Garre
Régulation physiologique du comportement alimentaire, Faculté de Médecine de Lille, Pr D. Romon, pdf
Dietary Reference Intakes, Institute of Medicine, Washington DC, pdf
Obésité
L’obésité, définie par un indice de masse corporelle (IMC ou BMI pour Body Mass Index en anglais) supérieur ou égal à 30 kg/m2 est devenue un véritable problème en termes de santé publique et d’économie. A titre d'exemple, 30% des adultes aux USA sont obèses (période 1999-2000) et ce nombre démontre une nette augmentation (22.9% de sujets obèses sur la période de 1988-1994) (Flegal et al., 2002). Depuis 1998, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que l’obésité est une maladie qui sévit de façon épidémique.
Le suivi épidémiologique de l'obésité et du surpoids en France depuis 1997 est assuré par l'Etude ObEpi, réalisée tous les 3 ans et réalisée par les Laboratoires Roche en collaboration avec le Pr A. Basdevant (Service de Nutrition de l’Hôtel-Dieu, Paris, Université Pierre et Marie Curie, Inserm U 755) et le Dr M.A. Charles (Unité Inserm U 258) en partenariat avec la TNS Healthcare SOFRES (Etude ObEpi). Pour les USA, les données épidémiologiques sont consultables sur le site du Departmet of Health and Human Services, Centers for Disease Control and Prevention: U.S. Obesity Trends.
L’obésité est un trouble du comportement alimentaire, conséquence d’un excès d’aliments riches, facilement disponibles associé à un niveau de sédentarité excessif qui dépasse les possibilités d’adaptation du système de contrôle favorisant le stockage d’énergie. Ce système s’est constitué en des temps où la moindre disponibilité, quantité et qualité des aliments imposaient le développement de stratégies hautement efficaces de recherche de nourriture et de constitution de réserves énergétiques.
Recommandations sur la prévention et la prise en charge de l'obésité
Calcul et courbes du BMI
Courbes BMI en France selon l'âge et le sexe: Rolland-Cachera et al., 1991
Calcul du BMI (adultes et enfants): Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta