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Liberté, égalité et capabilités: l'apport d'Amartya Sen aux questions d'inégalités
L'approche par les capabilités d'Amartya Sen : une nouvelle voie pour le socialisme libéral
| L'approche par les capabilités, volontairement incomplète dans la version originelle d'Amartya Sen, ne propose pas de théorie de la justice au sens de Rawls, mais un cadre d'analyse de l'état d'une société et de la qualité de vie des individus qui la composent. Le caractère incomplet de l'approche repose sur l'absence d'une liste définitive d'éléments constitutif de la qualité de vie d'un individu. Si la capabilité reste le critère central, Sen refuse d'établir un ensemble de capabilités à partir duquel il serait possible de comparer le bien-être d'individus disparates et dont les buts sont aussi différents que les raisons qu'ils ont de vouloir les atteindre. Si certains lui reprochent cette absence de volontarisme dans l'établissement d'une telle liste, à l'image de Martha Nussbaum, qui pour sa part, propose une liste de dix capabilités humaines centrales, universellement partagées, Sen refuse d'endosser une position paternaliste et universaliste qui ignorerait la pluralité des buts et des identités des individus et des valeurs auxquels ils adhèrent.
Sen n'est toutefois pas hostile à toute idée de liste, dès lors que celle-ci est socialement construite sur la base d'un débat démocratique et participatif. Il reconnait même, en 1993, qu'il existerait une liste minimale d'éléments vitaux nécessaires à l'individu pour échapper à la pauvreté et à une mort certaines. Toutefois, la force de l'approche par les capabilités repose sur la possibilité d'établir une liste en fonction de la culture, des coutumes et de normes en vigueur dans la société étudiées. Ainsi, quels que soient les éléments composant la liste, il est possible de juger du bien-être humain sur la base des capabilités. Il est également possible de juger de la société à partir de l'ensemble des capabilités qui sont valorisées dans la société.
C'est à partir de cette liste contextualisée qu'il est également possible de proposer des critères de justice. En ce sens, il est nécessaire de revenir sur une question fondamentale posée par Sen en 1980 : Egalité en quoi ? Cette question aura permis à Sen d'offrir à son approche par les capabilités une portée politique dans la mesure où il défend l'idée selon laquelle, une société juste est une société qui vise à l'égalité des capabilités entre les membres de cette société. Dans un article publié en septembre 2007 chez L'Harmattan, article intitulé "Liberté, égalité, capabilités: l'apport d'Amartya Sen aux questions d'inégalités" je montre comment Sen, à partir d'une critique des approches welfarist, resourcist et dans une moindre mesure de celle des opportunités (à laquelle il appartient tout de même), arrive à faire de l'égalité des capabilités, le critère de justice pertinent. Toutefois, en réhabilitant la notion de bonheur dans une perspective aristotélicienne, je montre que l'approche par les capabilités peut être rapprocher de l'égalitarisme des opportunités de bien-être proposée par Arneson pour aboutir à un égalitarisme des capabilités de bien-être.
L'importance indéniable de l'approche proposée par Sen dans les débats contemporains, sa présence dans les cercles universitaires mais également politiques montrent qu'en se démocratisant et en devenant accessible au plus grand nombre, l'approche acquiert une place de choix, non seulement dans les pays du Sud mais également dans les pays développés. L'internationalisation de l'approche par les capabilités et son intégration progressive dans les discours et les décisions politiques montrent qu'il existe une nouvelle voie politique possible dans laquelle l'approche par les capabilités peut occuper une place importante. Il est fondamental de s'interroger sur cette nouvelle voie. Pour certains, l'approche par les capabilités, par sa complexité, ses imprécisions et parfois ses incohérences, n'est pas en mesure d'offrir une alternative claire et pertinente à l'utilitarisme. Je soutiens, pour ma part, que ces conclusions, par trop hâtives, ne reflètent pas la réalité. Si Sen est parfois abscons et parfois confus, il n'en reste pas moins que son oeuvre, tracée depuis le début des années 1980, permet de repenser à la fois, le bien-être individuel, la justice sociale, la philosophie économique et le développement. En ce sens, je propose une lecture de l'approche par les capabilités, en perspective des idées sociales-libérales anglo-saxonnes du XIXème siècle (Green, Mill et Hobhouse). En effet, en chercher à concilier dans un même mouvement liberté et égalité, Sen propose une nouvelle voie au socialisme libéral. Sen est libéral dans la mesure où le critère premier qui importe pour juger de la qualité de vie est la liberté individuelle, mais il en retient une version sociale, dans laquelle il offre à l'Etat un rôle primordial dans la recherche d'une plus grande égalité entre les être humains. L'articulation de la liberté et de l'égalité, basée sur leur complémentarité, trouve dans la démocratie, le terreau idéal à son épanouissement. Loin de remettre en cause la mondialisation (il rejette l'ultra-libéralisme pour ses conséquences sociales), il en propose une version sociale-libérale, dont l'objectif serait de réconcilier, à l'échelle planétaire, la solidarité entre les peuples par une plus grande égalité et par l'exigence d'une liberté individuelle réellement respectée. En ce sens, j'ai écrit un article, soumis à publication, dans lequel je propose d'analyser l'approche par les capabilités en regard des idées sociales-libérales. Cet article est intitulé "L'approche par les capabilités de Sen : une nouvelle voie pour le socialisme libéral". |