Vaincre le signe indien Signes, le 19 mai 2007
"Dans certaines tribus indiennes ( d'Amérique ), les shamans avaient le pouvoir de jeter une malédiction sur leurs ennemis en les marquant mentalement au front d'un dessin représentant le fléau qu'ils souhaitaient voir s'abattre sur leurs victimes. Seuls ceux dont le cœur était pur et la bravoure grande pouvaient espérer échapper aux sorts de ces puissants sorciers. "
Passé la ligne d'arrivée, je serre le poing droit dans une position spartiate avec un grand sourire, oublié la chaleur, oublié le spectre de l'abandon. Signes la mystique, fut pour moi le printemps indien...
Orné de mon buff Asics, Je ne sais pas si, sur mon front, le sigle ASICS était maudit par les shamans, si mon coeur ou ma bravoure furent à la hauteur, mais l'acronyme " Anima sana in corpore sano " m'a aidé à vaincre enfin le signe indien. Revenons quelques heures auparavant, plus exactement 7heures et 03 min...
Au loin, la Sainte Baume, la brume s'estompe laissant place à une matinée radieuse, annonciatrice d'une chaleur provençale estivale avant l'heure.
Les rues calmes du village de Signes semblent trop étroites face à l'énergie débordante des traileurs ce matin là.
Je retrouve des têtes connues, ici Patrice Marmet et là Pascal Blanc (un et deux au trail de la sainte Victoire 2007!), prêts pour la ...boucherie. Je plaisante, ces deux là sont vraiment cools et rapides.
Je retrouve également Kafta et son tout nouveau club de traileur fondé récemment sur marseille (le bien né Marseille trail club, c'est comme le p..s..t c'est marqué dessus!).
Samuel est d'humeur badine aujourd'hui, en effet il revient de loin car quelques jours auparavant la préfecture a voulu annuler l'épreuve. Une mobilisation des élus, changement de parcours et tout le titoum pour faire un lobying d'enfer auprès des autorités, a fait plier le préfet. Serait ce la dernière édition? Car désormais un géant des airs préempte son territoire séculaire: l'aigle de Bonelli.
Mais revenons sur terre, et plus particulièrement avec Sam DJ Bonaudo qui nous met une ambiance festive à 8h du matin. Je suis placé au départ près de Figatelli et de La Souris, décidé à partir prudemment et surtout à arriver à bon port contrairement à l'an dernier.
Les traileurs foulent les premières montées de la montagne sacrée de la Sainte Baume.
L'élément de l'eau est bien présent en ce début de trail, image mentale à mémoriser pour une suite un peu plus aride...

Nous arrivons au classique et très beau gué du Latay. C'est un coin très apprécié des coureurs pour sa fraicheur et son charme intemporel, où l'on profite parfois pour tremper son couvre chef tel un rituel de bénédiction.


La terre de provence est piègeuse et "pierreuse" à souhait, les organismes et matériels sont mis à rude épreuve sur ces montées et descentes abrasives. La nature nous réserve des suprises, tel, au détour d'un chemin, un bouquet explosif d'odeurs de thym et de romarin qui nous chatouille le nez.

Je rejoins Figatelli lors de la montée finale, nous alternons marche et course quand c'est possible. A deux le temps passe plus vite et la dureté de la pente semble s'adoucir.
Je retrouve La souris vers la fin de cette montée interminable (près de 1000 de D+!). Ma foi elle semble assez à l'aise, quand je note ses épaules blanches, je comprends ses regrets de ne pas avoir apporter de crème solaire...
Nous voyons clairement ci dessous la séparation du 43 km et du 21 km, à babord pour le long et à tribord pour le retour au bercail! Quant à La Souris, elle s'est si bien faufilée au milieu des crêtes calcaires ou autres forêts primaires, que je ne la reverrais plus sauf à l'arrivée.
Les traileurs du 21 km ont eu droit aussi à une vue somptueuse, mais ce n'est rien par rapport à ce que nous réserve la Sainte Baume plus à l'ouest.
"A gauche le 42, à droite le 21" nous crie le speaker dans un style très chef de gare.
La ligne bleue prolonge le plaisir des yeux, tandis que les possesseur du ticket pour la ligne rouge doivent faire demi tour à mi-parcours.
"Go west" c'est le titre pertinent des Pet shop boys qui s'applique à décrire notre progression:
"
(Go West) Life is peaceful there
(Go West) In the open air
(Go West) Where the skies are blue
(Go West) This is what we're gonna do
(Go West, this is what we're gonna do, Go West)"
Les traileurs s'égrènent sur les crêtes majestueuse tels des petits cailloux colorés laissés par un "grand poucet" imaginaire.
Derrière nous. Rien à ajouter...

Nous apercevons les antennes quelques kilomètres devant plus à l'ouest, mais nous bifurquerons vers la forêt bien avant pour retrouver une ascension non loin de ces mêmes antennes. Cette année Samuel a bel et bien modifié le tracé en profondeur.

Avant de basculer sur la face nord boisée du massif, un bénévole-aiguilleur me tire le portrait près de la croix. 2h de course déjà, les premiers du 21 km sont déjà arrivés au village depuis 20 minutes. Je suis encore fringant et en forme.
Le parcours vers l'ouest alterne, astucieusement, entre la partie boisée au nord et les crêtes Est-Ouest du massif de la Sainte Baume (cela décrit une sorte de 8). L'avantage c'est que nous avons de quoi refroidir un tant soit peu dans la forêt primaire avant une séance de bronzage sur les sommets. Pour ma part, je n'ai pas le sentiment de souffrir de la chaleur, je prends bien garde de boire. Malgré cela, j'ai la baisse de régime habituelle chez moi après 3 ou 4 heures de course. Les traileurs auprès de moi sont plutôt sujet de crampes, quant à moi c'est une désagréable sensation de faiblesse générale qui m'habite. Lors de la seconde descente qui mène à la chapelle des parisiens, je me tors la cheville droite... Je sens le spectre de l'abandon, se pencher par dessus mon épaule...
Pour une fois les bâtons (de paroles shamaniques? *) me sauvent la mise, j'ai pu me rattrapper in extremis. Je m'en sors avec une belle frayeur et quelques dizaines de mètres de claudication avant de rallier le ravitaillement. Le point de ravitaillement près de l'hotellerie est court en liquide (nous passons deux fois à ce poste, parcours en huit), il ne reste plus que 3 bouteilles d'eau! Avec mes deux bidons d'eau j'ai de quoi voir venir car je n'arrive jamais à les boire tous les deux entre les ravitaillements (point à travailler, l'hydratation et le refroidissement). Heureusement que les bénévoles ont eu la présence d'esprit de recommander au traileurs restants (une vingtaine) de s'approvisionner à une source plus en amont.
Des "brindilles" au travers du chemin nous rappellent que nous marchons sur un géant. Nous ne verrons pas cette année la grotte aux oeufs, nous cheminons sur un sentier parallèle plus large et moins escarpé, dommage j'aurai bien aimé revoir ces lieux remarquables où histoire et religion se mèlent intimement. Marie la magdaléenne ne verra donc pas crapahuter ces pélerins pressés des temps modernes.

La dernière remontée vers le pas de l'aï se fait dans un cadre enchanteur, les gazouillis des oiseaux m'incitent plutôt à faire la sieste ou à la méditation qu'à enquiller du dénivellé. C'est du "Chi running" avant l'heure! Je sens le poids de l'histoire sur mes épaules, je me meut à la vitesse d'un escargot. J'ai pris 2000 ans d'un coup...
En haut du pas de l'aï, je reste un moment avec les bénévoles. A partir de maintenant, le plus dur est fait.
Malgré le denivelé négatif, la forme ne revient pas. Dès que je m'arrête je suis trempé de sueur, je bois sans arrêt afin d'assurer le refroidissement du noyau central mais je me traine dans un état de faiblesse (encore après Mimet!) inhabituel. Je repasse le gué du Latay et apprécie la fraicheur bienvenue des lieux.

Une dernière petite montée (150 m D+) me fait vieillir de 10 ans en 20 minutes, mais ça sent l'écurie. Francis me double dans la descente, je le rattrape sur les portions bitumées. On discute et il me dit que je ressemble à Dawaa Sherpa, ah oui vraiment sauf que lui il serait déjà douché et de retour en Suisse en ce moment ! J'ai encore la force de sourire.
Le passage de la ligne enlève toute la fatigue accumulée depuis près de 7 h, je m'affale sur un tabouret pour profiter d'un repos mérité avec La Souris, Eric, Patrice et Nicolas ci dessus. Patrice fait 4ème au scratch sur le parcours long, Nicolas finit second au sprint sur le court !!!
Je prends avec délectation la classique bière d'après course offerte par l'organisation, une bénévole m'explique avec patience (je ne suis pas frais mentalement) que j'ai mis mes booster à l'envers. Il faut avoir les mentions "booster" sur les cotés et la bannière "bvsport" devant. Tout s'explique alors. Je prends mon repas avec la Souris, LTDB (qui a pris lui aussi un coup de chaud) et sa femme à la salle des fêtes, il n'y a plus grand monde car ils sont tous sur la place du village pour la remise des prix. J'ai fini modestement 191ème au scratch (sur 221 arrivants).
Plus sérieusement, je dois revoir ma stratégie d'hydratation et alimentation ainsi que le refroidissement (le sac revo 20 salomon tient chaud!) sous peine d'avoir des tristes désillusions sur des ultras tels que le Mercantour ou autre UTMB.
Le soir Tibichique m'apprendra qu'il y a au menu un carré des lombes, un psoas et un pyramidal. Ce n'est pas le régime diététique crétois à la mode mais les dernières tensions dans ma chaine musculaire coté droit. Il faudra plus qu'une révision en mai pour me remettre d'aplomb physiquement. Mais j'en ai cure J'AI VAINCU LE SIGNES INDIEN.
Toutes les photos sont ici.
* Le bâton de parole, utilisé à l'intérieur du cercle cérémonial pour donner la parole à chacun. La personne qui le tenait pouvait s’exprimer et, lorsqu’elle avait terminé, elle le passait à son voisin de gauche qui s'exprimait à son tour. Garni de pierres, de poils et d'ossements d’animaux, le bâton de parole puisait son pouvoir dans la combinaison de ces divers éléments.
PS: j'ai oublié mes lunettes Bollé sur le parcours, si vous les trouvez je vous en saurai gré.