N.B: Ces textes sont ceux qui ont été publiés. Ils ont été édités par les auteurs pour leurs audiences. Veuillez consulter les originaux dans les Archives Générales de la Société des Missionnaires d'Afrique à Rome (Italie)
A côté des fils dévoués, je trouverai aussi des prodigues, et, loin du troupeau fidèle, je devrai poursuivre les brebis perdues, celles dont il est dit que le Bon Pasteur doit tout abandonner pour les suivre et les ramener au bercail. Je m'unirai à vous pour les retrouver, si loin qu'elles soient égarées. Ma voix se fera entendre pour encourager votre zèle, mais je veux vous le dire d'avance, elle ne vous fera jamais entendre d'autres paroles que celles de la charité et de la douceur.
Non, j'en ai pris l'engagement aux pieds du plus doux des Pontifes , ne craignez pas que je déshonore mon ministère et le vôtre par des injures ou des violences. Rien de dur ou de blessant ne sortira jamais de mes lèvres, même contre les ennemis les plus injustes de notre foi. J'ai appris de celui qui m'envoie que je dois respecter la lampe qui s'éteint et la branche à demi brisée ; et que, s'il faut toujours venger sa gloire, il ne la faut venger que pour le pardon.
Et s'il m'est permis de vous adresser ce premier conseil, n'oubliez vous-mêmes jamais, vis-à-vis de ceux qui ont le malheur de ne point partager nos croyances ou de les avoir abandonnées, ces règles du véritable zèle. Souvenez-vous de cette parole d'un grand pape, que « celui qui enseigne sans douceur montre qu'il cherche autre chose que la vérité, et que la charité n'est pas dans son cœur. » Lors même que vous êtes provoqués ne répondez, croyez-moi, que par la bonté et par l'indulgence : « Aimez la paix, vous dirai-je avec saint Augustin, aimez la paix ; et si ceux qui sont séparés de nous ne l'aiment pas, apaisez-les en leur montrant simplement la vérité ou même en vous taisant plutôt qu'en leur adressant des reproches...Vous aimez la lumière du jour, mais vous irritez-vous pour cela contre les aveugles ? Non, vous les plaignez, vous savez le bienfait dont ils sont privés et vous les jugez dignes de compassion... Je vous en supplie, montrez à nos frères séparés la même charité douce et chrétienne. »
Vous le voyez, en vous prêchant la vertu, nous chercherons surtout à la rendre aimable. De même, en vous prêchant la foi nous chercherons comme l'ont fait tous les Pères et tous les docteurs de l'Église, à vous montrer ses harmonies, son parfait accord avec la droite raison. [...].
On répète autour de vous, parmi vous, je le sais, et c'est là une des objections les plus funestes qui se répandent aujourd'hui contre la religion et contre l'Église, que les œuvres de la raison humaine, ses progrès, ses institutions, ses aspirations légitimes sont condamnés par la foi. Et on en conclut que la foi a fait son temps, que le monde est entraîné vers d'autres cieux, et qu'il est nécessaire de rompre avec une religion qui s'oppose au progrès du genre humain. Rien n'est plus répandu, plus dangereux et plus faux tout ensemble que ces discours. Il est vrai que ces principes funestes ont été soutenus par une école fameuse du dernier siècle , qui enseignait que la nature ne peut produire que le mal, que dès lors, toutes ses œuvres, philosophie, sciences, institutions sociales, liberté humaine, sont condamnables dans leur essence même. Mais l'Église toujours sage, toujours également éloignée des extrêmes, a frappé de ses condamnations solennelles ces doctrines insensées.
Dans des temps plus rapprochés de nous, un altier et fougueux génie , héritier sans les avoir peut-être, comme tant d'autres, des préjugés et des mêmes erreurs, voulu entreprendre de ramener le monde à la foi en lui prouvant l'impuissance absolue de la raison humaine et la vanité irrémédiable de toutes ses œuvres. L'Église condamna, une fois encore, dans l'auteur de ce système, ce qu'elle avait condamné dans ses prédécesseurs : l'absence de mesure et de bon sens, c'est-à-dire de vraie sagesse.
L'Église n'est l'ennemi ni de votre intelligence, ni de votre philosophie, ni de vos sciences, ni de votre industrie, ni des œuvres du génie de l'homme, ni de sa liberté, ni des progrès des sociétés humaines lorsque ces choses restent dans les bornes de la raison et de la justice. Elle se réjouit au contraire, et nous ses pontifes nous nous réjouissons avec elle, de tout ce qui augmente ce patrimoine de gloire, de richesse, d'honneur, de bien-être, fruits de l'intelligence et du travail. Elle vous demande seulement, dans l'exercice des facultés et dans la jouissance des biens que vous tenez de Dieu, de rester fidèles aux règles de l'ordre moral et de la vérité. Elle vous demande surtout de vous souvenir que vous avez une destinée plus haute que la terre, que vous avez besoin des secours et des lumières de la foi, et que les choses du temps doivent être possédées par vous de telle sorte qu'elles vous conduisent à des biens qui demeurent et à une patrie qui ne peut périr.
Source: Ceillier, Jean Claude, ed. Cardinal Lavigerie Anthologie de textes Volume I, 11-14.
Charles-Martial Allemand-Lavigerie, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège, Archevêque d'Alger, au clergé et aux Fidèles de notre Diocèse, salut, paix et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Mes très chers Frères, Je viens à vous à une heure solennelle pour l'Afrique Chrétienne, à l'heure où la hiérarchie catholique ressuscite dans sa plénitude sur ce sol abreuvé du sang des martyrs . L'Église et la France se sont unies pour relever ces gloires du passé, et elles m'envoient vers vous comme le messager de la vérité, de la charité et de la paix. Je vous tromperais, mes très chers Frères, si je ne vous disais pas qu'une charge si laborieuse a d'abord effrayé ma faiblesse, et que les prévisions d'une séparation cruelle ont profondément troublé notre âme. Mais, aujourd'hui, le sacrifice est consommé, les liens sont rompus je n'appartiens plus qu'à vous, et je n'aspire qu'à une seule joie, celle de vous porter les dons du Ciel et de vous les voir accepter.
Certes une mission semblable est faite pour effrayer, mais aussi pour tenter le cœur d'un évêque ; et soit que je regarde le passé, soit que j'interroge l'avenir, soit que j'examine les conditions de la situation qui m'est faite, je ne vois pas d'œuvres parmi celles qui s'accomplissent dans le monde chrétien, à l'heure présente, qui lui puissent être préférées.
Quelle est, en effet, dans le passé, l'histoire de l'Afrique du Nord ? Interrogez les ruines qui couvrent votre sol. Vous y trouverez les traces superposées de trois grandes races historiques, les débris des civilisations les plus hautes et les plus diverses, la mémoire des hommes les plus illustres, les restes épars de cités fameuses. Quels noms que ceux de Carthage, d'Hippone, d'Utique, de Cirta ; que ceux de Scipion, d'Annibal, de Marius, de Caton, de Jugurtha, de César !
Mais pour nous, chrétiens, que de souvenirs encore plus sacrés des héros de notre foi, de leur courage, de leur sainteté, de leur génie ! Qu'elle était grande, cette Église africaine , avec ses sept cents évêques, ses temples innombrables, ses monastères, ses docteurs ! Son sol fumait du sang des martyrs ; ses conciles, où la sagesse et la fermeté de ses évêques étaient l'exemple du monde chrétien, devenaient la règle de la sainte discipline ; l'Église entière se glorifiait de recevoir l'exposition et l'intelligence de ses dogmes de la bouche des Cyprien et des Augustin. Ses vierges surpassaient en courage, devant les bourreaux, les hommes les plus intrépides ; les grottes de ses montagnes et les oasis de ses déserts étaient embaumées par les vertus de ses solitaires, et tout entière elle offrait au monde un objet d'admiration et de sainte envie. Mais ces siècles de gloire allaient être suivis de siècles de deuil, et l'Afrique chrétienne devait être aussi fameuse par ses malheurs qu'elle l'avait été par le génie et le courage de ses fils...
(Suit alors un long passage où, après avoir longuement évoqué la lente disparition du Christianisme dans cette partie nord du continent africain, le nouvel évêque dit sa conviction que les temps sont peut-être venus pour une renaissance de la foi dans cette région ; et il se sent profondément concerné par ce défi ).
Tel est en effet, l'avenir, mes très chers Frères, telle est la mission à laquelle , dans la mesure de ma faiblesse, je suis appelé à concourir avec vous… Répandre autour de nous, avec cette ardente initiative qui est le don de notre race et de notre foi, les vraies lumières d'une civilisation dont l'Évangile est la source et la loi ; les porter au-delà du désert, avec les flottes terrestres qui le traversent et que vous guiderez, un jour jusqu'au centre de ce continent encore plongé dans la barbarie ; relier ainsi l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens, telle est, je le répète dans les desseins de Dieu, dans les espérances de la patrie, dans celles de l'Église, votre destinée providentielle…
Je prie Dieu de vous bénir, vous tous habitants chrétiens de ce diocèse, issus de tant de nations diverses, mais devenus nos frères depuis que vos pieds se sont reposés sur le sol d'une seconde France, enfants de Malte, ou de l'Italie, de la catholique Espagne ou des Iles Baléares, de l'Allemagne ou de la Suisse… Je vous bénis enfin, vous anciens habitants de l'Algérie, que tant de préjugés séparent encore de nous, et qui maudissez peut-être nos victoires. Je réclame de vous un privilège, celui de vous aimer comme mes fils, alors même que vous ne me reconnaîtriez pas pour Père. (…) il est du moins deux choses que nous ne cesserons de faire et qui ne peuvent ni vous inquiéter ni vous détourner de nous : la première, c'est de vous aimer et de vous le prouver, si nous le pouvons, en vous faisant du bien ; la seconde, c'est de prier pour vous le Dieu maître et père de toutes les créatures, afin qu'il vous accorde pleinement la lumière, la miséricorde et la paix.
Source: Ceillier, Jean Claude, ed. Cardinal Lavigerie Anthologie de textes Volume I, 18-21.