N.B: Ces textes sont ceux qui ont été publiés. Ils ont été édités par les auteurs pour leurs audiences. Veuillez consulter les originaux dans les Archives Générales de la Société des Missionnaires d'Afrique à Rome (Italie)
Paris,
Mon très vénéré et très cher Seigneur,
J'ai été on ne peut plus sensible à votre bon souvenir, et j'y aurais répondu déjà par l'expression de ma reconnaissance, s'il ne m'avait trouvé au milieu de tous les embarras et de toutes les émotions du départ. Les antiquaires ont bien raison et les anciens avaient encore raison davantage de s'opposer aux translations. Ah ! Monseigneur, se séparer de son Église, de son clergé, de tout ce à quoi l'on a attaché son cœur pour procurer le bien, c'est vraiment mourir une première fois. Une seule chose me soutient, c'est la pensée que Dieu agréera mon sacrifice et me permettra de travailler efficacement au développement de ma lointaine mission ; car me voilà vraiment évêque missionnaire. Beaucoup a été fait, mais qu'est-ce que cela en comparaison de ce qui reste, et en présence de ces trois millions de musulmans, dont la conversion demandera des siècles, surtout si on ne nous donne pas vis-à-vis d'eux une pleine et entière liberté.
Je ne puis malheureusement pas aller à Angoulême pour le moment. Je pars dans 15 jours pour Alger, et il faut que je me hâte afin d'éviter les chaleurs. Je vais aussi à Rome en juin. On dit de singulières choses du projet de quelques personnes qui voudraient enlever par surprise une définition dogmatique de l'infaillibilité personnelle et absolue du Pape. Je n'examine pas le fonds de la question, que je considère tout au moins comme probable, mais la forme me paraîtrait un précédent fâcheux ; et je craindrais de plus, dans l'état des esprits, en Italie surtout et en Allemagne, des inconvénients majeurs. Beaucoup de nos collègues pensent de la sorte, et j'en ai entendu un, des plus vénérables par ses vertus et par son âge, dire que si l'on tente une manœuvre semblable, à Rome, durant la réunion, il prendra son chapeau et partira sur l'heure. D'autres et des plus connus feront peut-être pire encore. Tout cela est inquiétant, car il me semble qu'aujourd'hui plus que jamais nous ne devons faire entre nous et le Saint-Père qu'un cœur et qu'une âme.
Je vous confie tout cela, cher Seigneur, pour que vos prières puissent conjurer, s'il se peut, tous ces périls que j'entrevois, et d'autres encore que ne puis confier au papier.
Je me recommande moi-même à vos prières.
Charles, Archevêque d'Alger