Astaffort... D'où vient ce nom ?

Est-ce le mot germanique furt ("gué") qui, dans la seconde partie du toponyme, atteste d'un point de passage stratégique d'une rive à l'autre du Gers ?

Ou s'agit-il plutôt du mot occitan fòrt qui témoigne de la fondation d'une place forte médiévale ?

Les deux hypothèses ont leurs supporters. Mais dans les deux cas, la première partie du nom continue à faire débat.

Formes anciennes

Attestations historiques :


  • Astaforti (castri de ~) lat. 1281

  • Astafortis (capella ~) lat. 1326, comptes des décimes

  • Stassafort, Astafort, Estaforts, Estaffort oc. 19 mai 1383

  • Estafort oc. carte XVIIe s.

  • Stahort oc. atlas Tassin XVIIe s.

Extrait de l'atlas Tassin du XVIIe siècle

(Collection Alain Beyneix)

Cette carte de Christophe Tassin (1), sur laquelle on lit Stahort, rend compte d'une particularité phonétique propre au gascon : Le "f" tombe au profit du "h" aspiré (Stafòrt > Stahòrt). Elle témoigne aussi du phénomène d'aphérèse (coupure de la première syllabe), fréquent à l'oral pour les toponymes commençant par un "a", en raison de la confusion avec la préposition à (a, en occitan) : Que vau a Astahòrt > Que vau a Stahòrt (je vais à Astaffort).

(1) chargé, à la demande de Richelieu, de faire paraître un atlas des cartes générales de toutes les provinces de France

Hypothèses

DAUZAT et ROSTAING (DENLF, p. 32) : probablement nom d'homme germanique Asthad et germanique furt, "gué".

NÈGRE (TGF, II, p. 828) : peut-être nom de personne germanique Estiborgis (NPAG, I, 42b) ; attraction de l'occitan fòrt.

ASTOR : Aucune.

Discussion

Une origine germanique ?

On s'accorde généralement à voir dans la seconde partie du toponyme le mot germanique furt (= gué). À comparer avec le vieil allemand vort (= gué), l'allemand furt ou l'anglais ford (même sens). Les noms de villes britanniques terminées en -ford ont la même origine : Oxford (= le gué du bœuf), Stratford (= le gué où passe la route).

La première partie du nom, par contre, ne fait pas l'unanimité. (...) [selon certaines sources], le début du nom serait une corruption du terme germanique statt ou stadt qui désignait au départ une station, un relais le long d'une route mais qui, par extension, aurait pris le sens de "garnison" et, plus tard, celui de "village". Le mot d'allemand moderne stadt signifie "ville".

[Source : Jean-Marie Cassagne et Mariola Korsak, Origine des noms de lieux, villages et villes du Lot-et-Garonne, éditions du Bord du Lot, Villeneuve-sur-Lot, 2013]

La strate germanique

Les invasions germaniques qui ont marqué l'Europe occidentale, accompagnant la décadence de l'Empire romain, ont laissé des traces plus ou moins marquées dans la toponymie.

Fréquente au nord de la Loire, l'empreinte germanique n'est cependant pas absente des régions occitanes sporadiquement influencées par l'établissement de colonies de Wisigoths. Ces derniers nous ont laissé de façon certaine des ethniques comme Allemans du Dropt, Goudourville ou Tonneins.

[source DTCLG]

Une origine occitane ?

Le passage d'une voie d'Agen à Lectoure (doublant la Peyrigne), reconnue à partir d'Astaffort, plaide en faveur d'une fondation remontant à haute époque. Si le sens de forteresse est à peu près assuré pour expliquer le second élément (fort) dans la mesure où il est déjà question d'un castrum (lieu fortifié) au XIIIe siècle, il reste à identifier le premier élément.

Astaffort représente dans tous les cas un toponyme féodal désignant une place forte.

[Source : Bénédicte Boyrie-Fénié, André Bianchi, Pèire Boissière, Patrice Gentié et Maurice Romieu, Dictionnaire toponymique des communes du Lot-et-Garonne, éditions Cairn, In’Oc, IEO 47, Pau, 2013.]

Le nom de la paroisse d’Astaffort, situé dans la zone linguistique gasconne, est assurément médiéval, malgré une occupation du sol antérieure. À l’instar d’Escassefort (Escassefort en 1197 ; castrum de Scasafort en 1259), c’est un toponyme belliqueux à rapprocher, par exemple, de Trinquetaille, nom d’un ancien château, situé près d’Arles, au nom martial, Trenca ! Talha ! (Tranche ! Taille !), cri de guerre médiéval.

Composé du verbe astar, "embrocher", et de l’adverbe hòrt, Astahòrt peut se traduire par "Embroche fort !" quand Escassafòrt se comprend comme "Brise, tranche net et fort !"… Deux toponymes appartenant au même segment chronologique du premier quart du deuxième millénaire ; deux communautés jouant sur l’ambiguïté du sens de fòrt ou hòrt, qui désigne un "fortin" quand il est nom commun.

[Source : Bénédicte Boyrie-Fénié, dépliant Demandez le guide !, Office de Tourisme d'Astaffort, 2013]

La strate occitane

Elle fournit la majeure partie des noms de villes, de communes et de hameaux puisqu'elle couvre, en gros, la période allant du Xe au XVe siècle. Il est cependant parfois difficile de faire la part entre les noms appartenant à la strate dialectale et ceux qui lui sont antérieurs, lorsque le continuateur procède d'une évolution in situ de l'étymon latin.

[source DTCLG]

Abréviations :

  • DENLF = Albert Dauzat et Charles Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Librairie Guénégauc, Paris, 1978.

  • DTCLG = Bénédicte Boyrie-Fénié, André Bianchi, Pèire Boissière, Patrice Gentié et Maurice Romieu, Dictionnaire toponymique des communes du Lot-et-Garonne, éditions Cairn, In’Oc, IEO 47, Pau, 2013.

  • NPAG = Marie-Thérèse Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l'ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, Paris, 1968, 1972, 1985.

  • TGF = Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, éditions Droz, Genève, 1991, 3 vol.